Le rôle du podiatre en milieu hospitalier Québécois


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Sébastien Hains est podiatre et professeur au programme de médecine podiatrique de l'Université du Québec à Trois-Rivières. Il dirige des stages de podiatrie et des activités de recherche au Centre Hospitalier Régional de Lanaudière.

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Assia Abibsi est podiatre et auxiliaire de recherche en podiatrie au Centre Hospitalier Régional de Lanaudière. Elle co-supervise des stages de podiatrie en milieu hospitalier. 

Au mois de mai 2012, la signature d'une entente de stage pilote de podiatrie au Centre Hospitalier Régional de Lanaudière (CHRDL) fixait les paramètres de la nouvelle formation pratique des étudiants au doctorat en médecine podiatrique de l'Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Ces stages visaient essentiellement l'évaluation de la pertinence de l'intervention des podiatres sur les pathologies du pied liés au diabète et à l'insuffisance rénale en milieu hospitalier.  Le projet pilote prévoyait l'inclusion de la podiatrie au sein d'une équipe multidisciplinaire de soins de plaies, notamment celles liées au pied diabétique.

Les étudiants-podiatres effectuaient également des soins de prévention et de l'éducation préventive au centre d'hémodialyse de l'établissement où une bonne partie des patients sont diabétiques. Le projet a été suffisamment apprécié des différents acteurs impliqués pour mener à un renouvellement de l'entente pour une durée de trois ans. Une discipline médicale relativement jeune au Québec entre ainsi en milieu hospitalier. Cette innovation avant-gardiste permet au CHRDL d'améliorer son offre de service envers la collectivité tout en bonifiant la formation des futurs podiatres.

Podologue ou médecin : où se situe le podiatre Québécois?  

L'Ordre des podiatres du Québec, fondé au milieu des années 1970, exige l'obtention d'un doctorat en médecine podiatrique pour l'entrée en pratique. Les formations reconnues sont celles de l'UQTR et des neuf collèges universitaires Étasuniens. Dans ce pays, la diplomation débouche sur une formation pratique de deux à quatre années sous forme de résidence en milieu hospitalier. À la suite de leur formation universitaire de base et de leur résidence, les podiatres Étasuniens comptent une formation totalisant six à huit années et obtiennent le titre de médecin-podiatre (podiatric physician). Ce dernier leur donne accès à toutes les modalités médicales ou chirurgicales pour le traitement du pied et de la cheville.

En Europe, les podiatres n'existent pas. Il y a des podologues, qui sont des professionnels universitaires (diplôme équivalent à un Baccalauréat) qualifiés pour traiter les affections épidermiques limitées aux couches cornées et les atteintes unguéales à l'exception de toute intervention provoquant l'effusion de sang. Ils font également des soins d'hygiène et ils confectionnent des semelles destinées à soulager les affections épidermiques.

Le podiatre Québécois se situe entre ces deux formations et champs de pratique. La loi sur la podiatrie prévoit que le podiatre peut intervenir sur les pathologies des pieds qui ne sont pas des maladies du système. Ainsi, bien que le podiatre ne soit pas médecin, son champ de pratique va des soins de prévention à la pratique d'interventions chirurgicales en passant par l'examen biomécanique des pieds et la prescription d'orthèses plantaires. Le podiatre est autorisé à prescrire et administrer des médicaments dans le cadre de ses fonctions. Il est ainsi pour le pied l'équivalent de ce qu'est le dentiste pour la bouche.

Depuis 2004, L'Université du Québec à Trois-Rivières offre un programme de doctorat professionnel en podiatrie. Cette formation de 195 crédits au premier cycle est unique au Canada et dans la Francophonie. Le cursus académique du programme est largement inspiré du modèle Étasunien. D'ailleurs, l'UQTR a bénéficié de la collaboration du New York College of Podiatric Medicine pour l'élaboration et le démarrage du programme. Le collège New Yorkais accueille encore les étudiants Québécois dans différentes formations pratiques en milieu hospitalier et universitaire Américain.

Intervention auprès des diabétiques

Les stages de podiatrie au Centre Hospitalier Régional de Lanaudière s'inscrivent essentiellement dans une perspective de multidisciplinarité en regard au pied diabétique. Les futurs podiatres y sont appelés à jouer un rôle de santé publique visant la réduction du nombre d'amputation et de complications médicales du membre inférieur lié au diabète sucré. Le Québec compte plus de 760 000 personnes affectées par cette épidémie émergeante. Parmi les principales complications du diabète, on retrouve la cécité, l'insuffisance rénale et l'amputation.

Les amputations sont précédées par un ulcère dans 85% des cas. Puisqu'il est estimé qu'environ 15% des diabétiques développeront un tel ulcère en cours de maladie, la prévention des amputations passe inévitablement par la prise en charge adéquate de ce type de lésion.

L'Institut Canadien d'information sur la santé (ICIS) a récemment publié une étude qui démontre que les diabétiques hospitalisés dans les hôpitaux courent six fois plus de risques que les autres patients de développer des plaies qui se chronicisent. L'ICIS estime d'ailleurs que beaucoup de ces plaies seraient évitables si une meilleure attention était portée aux pieds des diabétiques.

Ailleurs dans le monde, notamment en France et aux États-Unis, il a été démontré que l'intervention des podologues et des médecins-podiatres au sein des équipes multidisciplinaires permet de réduire de plus de 50% le taux d'amputation au membre inférieur lié au diabète. Les données probantes en ce sens ont incitées le gouvernement Français à couvrir depuis peu des frais de visites de prévention chez le podologue pour une catégorie de diabétique à risque accru de complication. L'expérience en milieu hospitalier Lanaudois permet de croire que des recherches futures pourraient mettre en relief l'atout que peut être le podiatre au sein d'une équipe de soin du pied diabétique.

Les interventions que le podiatre est appelé à jouer en milieu hospitalier concernent en bonne partie la coordination des soins locaux et la décharge biomécanique des plaies diabétiques dans une perspective d'approche multidisciplinaire. La mise en décharge des ulcères est souvent le parent pauvre du traitement de ces plaies. La prescription et l'installation de bottes de décharge pneumatique, de plâtre de contact total et d'orthèses plantaires sont quelques-uns des outils nécessaires à la guérison et à la prévention des récurrences de lésion.

Intervention auprès des insuffisants rénaux

Les stages de podiatrie permettent aussi à la clientèle insuffisante rénale de recevoir des évaluations préventives et des interventions thérapeutiques au niveau des pieds. Les étudiants s'exposent ainsi à des patients présentant des comorbidités cliniques liées à l'insuffisance rénale, notamment chez les patients hémodialysés. Pendant que les usagers sont alités pour leur traitement de suppléance rénale, un examen systématique des pieds est effectué avec des soins appropriés. Une pierre, deux coups!

Pourquoi les podiatres s'intéressent-ils à l'insuffisance rénale?

La néphropathie diabétique est la première cause d'insuffisance rénale. Ainsi, les diabétiques représentent environ 60% des patients qui entreprennent un traitement de suppléance rénale, et ce nombre serait en croissance.

En plus de faire de la prévention et le traitement des plaies chez ces patients vulnérables, le stagiaire porte une attention particulière aux affections caractéristiques de l'insuffisance rénale sur le corps en général et le membre inférieur en particulier. L'examen dermatologique, vasculaire et neurologique des pieds peut comporter des caractéristiques cliniques d'affections telles que la neuropathie, le prurit urémique, les embolies distales ou des maladies plus graves. Bien que le néphrologue reste l'acteur central de la prise en charge de ces patients, le podiatre peut collaborer à la santé de ces patients qui ont souvent tendance à guérir plus lentement des suites du diabète, des différents types d'atteinte vasculaire et du débalancement électrolytique ou d'accumulation de déchets métaboliques.

Approche intégrée au membre inférieur

Le programme de podiatrie de l'UQTR constitue la seule formation universitaire Québécoise globalement axée sur les pieds. Ceci permet de former des professionnels qui sont parmi les mieux placés pour orchestrer les soins médicaux pour les pieds. Ces derniers passent notamment par une évaluation des mesures de décharge biomécanique nécessaires à la guérison des plaies ainsi qu'au choix de pansements et au type de débridement nécessaire pour guérir les ulcères diabétiques.

Le domaine d'intervention du podiatre se situe également au carrefour des actions et de l'éducation préventive pour les pieds. Se faisant, il peut effectuer des soins de préventions (exérèse de cors et de callosités, réduction des ongles, prescription et fabrication d'appareillage de décharge, ?) ou superviser ces derniers.

Par sa formation spécialisée sur le pied, le podiatre est en mesure d'identifier les différents types de contraintes liées à la guérison d'une plaie. Il est en mesure d'identifier les problèmes circulatoires, dermatologiques, infectieux et médicaux qui nécessitent une approche concertée de plusieurs disciplines médicales. Il peut ainsi développer une approche positive au pied diabétique, brisant le cercle vicieux de la chronicité des plaies favorisée par vision souvent uni disciplinaire et le découragement d'un patient devant une plaie qui ne guéri pas ou réapparaît de façon intermittente.

Clientèle socio économiquement moins favorisée

Jusqu'à maintenant, la podiatrie Québécoise ne se pratiquait qu'en milieu privé. L'arrivée du programme universitaire en milieu hospitalier permet d'étendre les services de cette profession à une clientèle socio économiquement moins avantagée n'ayant souvent pas les moyens de se payer des services privés. Ces personnes présentant souvent des problèmes de santé plus nombreux et complexes, les étudiants stagiaires bonifient leur formation tout en améliorant l'offre de service à la clientèle hospitalière. L'ICIS a par ailleurs souligné que selon l'état de santé d'un patient hospitalisé, le traitement d'une plaie ne constitue pas toujours une priorité d'intervention. Ceci met en lumière l'atout que peut être le podiatre en regard à une clientèle atteinte de multiples problèmes de santé.

Les stages universitaires de podiatrie permettront de cumuler des données probantes confirmant ce que l'on tend déjà à observer sur le terrain Lanaudois, c'est-à-dire que l'intervention des podiatres contribue à améliorer le taux de guérison des plaies diabétiques. La jeune profession médicale que constitue la podiatrie sera alors davantage en mesure d'obtenir la reconnaissance de la place qui lui revient en santé publique et en milieu hospitalier. En ce qui a trait aux étudiants, les mettre en contact avec des pathologies complexes liées à différents milieux sociaux bonifiera leurs connaissances et les aidera à devenir des professionnels engagés.

Photo : Par sa formation universitaire de quatre années, le podiatre est un des professionnels les mieux placés pour orchestrer les actions thérapeutiques et l'éducation préventive concernant les pieds.

 


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