L'approche médicamenteuse pour le cancer du sein


L'approche médicamenteuse pour le cancer du sein

Nathalie Letarte, B. Pharm., M.Sc., DESG, BCOP

Pharmacienne au CHUM

Professeure adjointe de clinique, Faculté de pharmacie, Université de Montréal

Nathalie Letarte

Plusieurs modalités thérapeutiques sont disponibles pour traiter le cancer du sein. En plus de la chirurgie et de la radiothérapie, plusieurs médicaments sont couramment utilisés dans le traitement de cette maladie. Que ce soit pour un cancer précoce, ou encore en présence d'une maladie plus avancée, le nombre de médicaments composant l'arsenal thérapeutique augmente d'année en année, améliorant ainsi les chances de combattre cette maladie. Le but de cet article est d'effectuer un survol des agents utilisés en 2013 dans le traitement du cancer du sein.

 

Chimiothérapie conventionnelle

La chimiothérapie conventionnelle, utilisée depuis plusieurs décennies, prend encore une place prédominante dans la prise en charge du cancer du sein. On l'utilise souvent après une chirurgie (traitement adjuvant), pour diminuer le risque de récidive et améliorer la survie. On peut également l'utiliser avant une chirurgie, pour favoriser une diminution rapide de la tumeur et faciliter l'intervention chirurgicale. Bien sûr, la chimiothérapie est utilisée dans des cas de cancer du sein plus avancé et métastatique.

L'arsenal de chimiothérapie utilisée dans le cancer du sein, à ce jour, comporte environ une douzaine d'agents (Tableau 1). Ces médicaments peuvent être utilisés seuls, en combinaison ou de façon séquentielle. Les régimes sont administrés aux 1 à 3 semaines, selon les études qui ont démontré leur efficacité. On peut les utiliser également en combinaison avec des thérapies ciblées. Les régimes peuvent être différents selon le stade de la maladie. La chimiothérapie conventionnelle n'est pas spécifique au cancer du sein. Typiquement, la chimiothérapie cible les cellules qui se reproduisent rapidement, en empêchant leur division cellulaire ou leur reproduction. Ces cellules incluent les cellules de la tumeur, mais également d'autres cellules saines du corps telles les cellules du sang, des cheveux, de l'estomac, etc. Ceci explique les effets indésirables fréquents et souvent non désirés de la chimiothérapie (perte de cheveux, nausées et vomissements, fatigue, douleur musculaire, anémie et risque d'infection, etc.).  Les effets indésirables sont propres à chaque agent de chimiothérapie. Certains sont très puissants, d'autres, beaucoup plus faciles à tolérer.  De plus, chaque personne réagira différemment aux effets de la chimiothérapie. Par exemple, une patiente pourra souffrir de nausées très importantes avec un traitement, alors que sa voisine ne ressentira presque pas l'effet de la même chimiothérapie. Plusieurs de ces effets sont prévisibles et, quoique dérangeants pour plusieurs patients, sont devenus gérables. On peut d'ailleurs en prévenir plusieurs avec des thérapies de soutien (antinauséeux, analgésiques, etc.).

 

Tableau 1 : Exemples d'agents de chimiothérapie souvent utilisés dans le  traitement du cancer du sein

Cyclophosphamide 5-Fluorouracile (5-FU) Vinorelbine
Doxorubicine/ doxorubicine liposomale Docetaxel Gemcitabine
Epirubicine Paclitaxel  /paclitaxel lié à l'albumine Carboplatine
Methotrexate Capecitabine (voie orale) Eribuline

 

Thérapie personnalisée

Lors du diagnostic d'un cancer, le médecin pathologiste doit examiner un fragment de la tumeur (obtenu par biopsie ou chirurgie). Une fois le cancer confirmé, le médecin poursuit son analyse et tente d'identifier des récepteurs et des marqueurs spécifiques à ce cancer. On cherchera la présence de marqueurs hormonaux (récepteurs à l'?strogène et à la progestérone). De plus, on vérifiera la présence de protéine ou de gènes à la surface des cellules. La présence ou l'absence de ces récepteurs guidera le choix du traitement. Les avancées dans ce domaine ont été phénoménales, surtout dans les deux dernières décennies.

 

Traitements hormonaux

Si la tumeur est riche en récepteurs à l'?strogène ou à la progestérone, on tentera de bloquer la croissance de la tumeur en bloquant ces récepteurs, ou en diminuant l'activité ou la quantité d'?strogènes en circulation. Plusieurs médicaments sont actuellement disponibles (Tableau 2). Le premier médicament à avoir été utilisé à grande échelle a été le tamoxifène. Ce médicament est particulier. Il a une activité antagoniste (c'est-à-dire qu'il bloque les récepteurs) sur les cellules de la tumeur du cancer du sein. Il a toutefois des propriétés agonistes sur les cellules de l'endomètre, sur les os et sur le cholestérol. Ainsi, il pourra stimuler les cellules de l'endomètre (effet secondaire non désiré), protéger les os et faire baisser les taux de cholestérol sanguin (effets secondaires positifs). En plus de ces effets, le tamoxifène peut augmenter le risque de thrombose veineuse et causer des bouffées de chaleur. Habituellement, on utilise le tamoxifène pour une période de 5 ans après une chirurgie. Il peut être utilisé chez les femmes préménopausées comme chez les femmes ménopausées. Il peut également être utilisé en maladie métastatique et chez un homme atteint d'un cancer du sein.

Le corps de la femme produit des ?strogènes par deux mécanismes différents. D'une part, les ovaires produisent des ?strogènes, et ce, jusqu'à la ménopause. D'un autre côté, les glandes surrénales produisent des androgènes qui peuvent être par la suite converties en ?strogènes par une enzyme nommée aromatase. Il existe des inhibiteurs de l'aromatase (IA) qui diminueront la synthèse d'?strogène en empêchant la conversion d'androgènes. Chez les femmes ménopausées, les ovaires ne synthétisent plus d'hormones. Seule la conversion périphérique permet de synthétiser l'?strogène. Étant donné que les IA ne bloquent pas l'activité des ovaires, ils sont inefficaces chez les femmes pré-ménopausées. On ne peut donc utiliser les IA que chez les femmes ménopausées. Les IA peuvent être utilisés dans le traitement adjuvant du cancer du sein ou en présence de maladie métastatique. Les effets indésirables des IA sont divers. Principalement, ils résultent en la diminution, voire la disparition totale des ?strogènes, comme à la ménopause. On note donc des bouffées de chaleur, de la sécheresse vaginale, des troubles de l'humeur. Contrairement au tamoxifène qui a un effet bénéfique sur les os, les IA peuvent causer de l'ostéoporose. On recommande habituellement des suppléments de calcium et de vitamine D aux patientes qui prennent des IA. Outre les bouffées de chaleur, les effets indésirables les plus incommodants rapportés par les patientes prenant un IA sont les douleurs osseuses et articulaires (myalgies et arthralgies).

Étant donné que ces médicaments causent des bouffées de chaleur incommodantes qui peuvent causer des interruptions de traitements et parfois mettre en péril l'efficacité du traitement, les patientes et leur médecin cherchent des solutions. Plusieurs médicaments ont été montrés efficaces pour réduire les bouffées vasomotrices. Il est toutefois recommandé de vérifier avec le pharmacien si des interactions existent avec le tamoxifène ou les IA. Plusieurs produits de santé naturelle ont des propriétés ?strogèniques. L'effet concomitant avec le tamoxifène ou les IA est inconnu. De plus, certains médicaments sur ordonnances pourraient interagir avec le tamoxifène. Une vérification est de mise.

Tableau 2 : Exemples de traitements hormonaux

Nom générique Nom commercial Activité
Tamoxifène Tamofen, Nolvadex Modulateur de récepteurs à l'estrogène
Anastrozole Arimidex Inhibiteur de l'aromatase
Letrozole Femara Inhibiteur de l'aromatase
Exemestane Aromasin Inhibiteur de l'aromatase
Goséréline Zoladex Analogue de l'hormone GNRH

 

Tableau 3 : Effets indésirables fréquents ou particuliers de médicaments utilisés dans le traitement du cancer du sein

Chimiothérapie conventionnelle Hormonothérapie Thérapies ciblées
Perte de cheveux (alopécie) Bouffées de chaleur Éruption cutanée ou rash (boutons habituellement au visage et au tronc)
Nausées et vomissements Sécheresse vaginale Diarrhée
Anémie (diminution de globules rouges) Changement de l'humeur Effet cardiaque
Neutropénie (diminution de globules blancs) et risque d'infection Hyperplasie de l'endomètre et augmentation du risque du cancer de l'endomètre (tamoxifène)
Fatigue Augmentation du risque de thrombose (tamoxifène)
Douleur aux jambes Ostéoporose  (inhibiteur de l'aromatase)
Mucosite (ulcère dans la bouche) Fatigue
Diarrhée ou constipation Myalgie (douleur musculaire) ; inhibiteur de l'aromatase
Engourdissements des doigts et des pieds Arthralgie (douleur articulaire) ; inhibiteur de l'aromatase

 

Thérapie ciblée

Depuis 2001, l'ère de la médecine personnalisée et des thérapies ciblées a révolutionné le traitement du cancer. Des dizaines de nouveaux médicaments ont été commercialisés depuis. Ces médicaments ciblent (ou bloquent) une cible particulière, présente au niveau de certaines tumeurs. Pour l'instant, dans le cancer du sein, on a identifié surtout la protéine Her-2. Plusieurs médicaments ciblent cette protéine : trastuzumab (Herceptinmd), lapatinib (Tykerbmd), trastuzumab-emtansin (Kadcylamd), pertuzumab (Tarjetamd). Plusieurs autres molécules sont présentement en études cliniques, et d'autres cibles sont activement recherchées.

Le trastuzumab est utilisé en traitement concomitant et séquentiel avec la chimiothérapie conventionnelle. Après une chirurgie et une chimiothérapie, on offrira à une patiente porteuse d'une tumeur Her-2 positif un traitement d'une durée d'un an à base de trastuzumab. Le trastuzumab est un anticorps monoclonal spécifique qui va se lier au récepteur Her-2 de la tumeur et bloquer le signal qui aurait dicté à la cellule de se diviser et de se reproduire. Le trastuzumab bloque donc la prolifération de la tumeur. Il s'administre par voie intraveineuse, chaque semaine, ou toutes les 3 semaines. Ce médicament n'a pas les effets indésirables de la chimiothérapie. Il ne cause pas de nausées ni de perte de cheveux. Il a toutefois un effet particulier sur les cellules cardiaques. Rarement, le trastuzumab peut causer une baisse de l'efficacité de la contraction cardiaque. Ceci se mesure par des examens comme une échographie cardiaque ou une ventriculographie. On recommande donc de passer un examen cardiaque avant de débuter le trastuzumab, puis de le repasser de façon périodique pendant le traitement, soit environ aux 3 mois, pour s'assurer de l'innocuité du médicament. Cette toxicité cardiaque est généralement réversible lors de l'arrêt du trastuzumab.

Le lapatinib quant à lui cible le récepteur Her-2 et le récepteur EGFR-1 sur la cellule tumorale. Son mécanisme d'action est un peu différent du trastuzumab, et par le fait même, ses effets indésirables diffèrent également. Le lapatinib est un comprimé oral qui doit se prendre à jeun, une fois par jour, en continu. Il peut être administré avec le letrozole (IA) ou encore la capécitabine (chimiothérapie par voie orale). Il est présentement utilisé dans un contexte de maladie métastatique. Le lapatinib peut causer des diarrhées et des éruptions cutanées (rash). Les boutons, semblable en apparence à des petits boutons d'acné, apparaissent surtout au niveau du visage et du thorax.  On parvient à les traiter avec des crèmes hydratantes et des crèmes à base de corticostéroïdes légers. Comme le trastuzumab, il est possible que le lapatinib affecte la contractilité du c?ur. Des examens de contrôle sont également recommandés.

L'everolimus (Afinitormd), une autre thérapie ciblée, est également approuvé au Canada en association avec un inhibiteur de l'aromatase, l'exemestane, pour le traitement du cancer du sein avancé ou métastatique hormonodépendant qui a progressé suite à une thérapie à base d'IA. Ce médicament a des effets indésirables particuliers, différents de la chimiothérapie conventionnelle et de l'hormonothérapie. Il peut causer des ulcères dans la bouche, des infections, des pneumonites et des troubles des taux de glycémie et de cholestérol.

Le traitement du cancer du sein évolue chaque année. De nouveaux médicaments, avec des nouveaux mécanismes d'action, sont présentement en études cliniques. La prise en charge optimale d'une patiente atteinte d'un cancer du sein comporte maintenant, plus que jamais, un travail interdisciplinaire avec une équipe comprenant les oncologues, chirurgiens, radio-oncologues, les pharmaciens et les infirmières, entre autres professionnels. Leur travail d'équipe permet de rester à jour dans les différentes thérapies.

 

Liens et références utiles

www.geoq.info (pour les professionnels)

www.cancer.ca

www.cancercare.on.ca (information disponible en français)

www.bccancer.bc.ca (en anglais seulement)

 

Comité de l'évolution des pratiques en oncologie (CEPO). Traitement pharmacologique et non hormonal des bouffées de chaleur chez les femmes atteintes d'un cancer du sein. Juin 2012. Bibliothèque et archives nationales du Québec. Disponible en ligne au : www.msss.gouv.qc.ca/cancer


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