Mona El Khoury
Professeur adjoint de Clinique, Radiologue
Durant la grossesse et l'allaitement, le parenchyme mammaire est sous influence hormonale variée et majeure, entraînant des modifications physiologiques importantes rendant difficile, la détection des anomalies mammaires tant pour le clinicien que pour le radiologue et le pathologiste (Encadré 1). Durant la grossesse ou l'allaitement, une femme symptomatique se présente le plus souvent pour une masse palpable, mais aussi pour une mastite, un écoulement mamelonnaire ou une douleur au sein. Cet article se concentre surtout sur les étiologies et l'investigation de la masse palpable chez la femme enceinte ou qui allaite.
Modifications physiologiques en cours de la grossesse et de la lactation
Pendant le 1er trimestre, l'?strogène et la progestérone, sécrétées par le corps jaune, induisent une action proliférante sur le tissu épithélial glandulaire entraînant une arborescence des canaux galatophores. En parallèle, les tissus graisseux et conjonctif de soutien évoluent[M1]Â . Durant le 2e trimestre, le placenta prend la relève du corps jaune, sécrétant ainsi l'?strogène et permettant la différenciation de l'épithélium alvéolaire en épithelium sécrétoire. Â Au cours du 3e trimestre, la prolactine stimule la différenciation des cellules lactifères et la production de lait. Durant la période post-partum, l'?strogène et la progestérone diminuent permettant à l'effet lactogène de la prolactine de se manifester.
(Encadré 1)
Évaluation clinique
Les modifications physiologiques de la glande mammaire durant la grossesse et l'allaitement rendent l'examen clinique des seins très difficile (Encadré 2). En effet, les seins augmentent de volume, deviennent plus nodulaires et plus denses. Une masse initialement palpable chez une femme au début de la grossesse peut devenir, par la suite, occulte car masquée par la glande hypertrophiée ou peut, au contraire, se modifier et augmenter de volume.
La majorité des masses mammaires développées au cours de la grossesse ou de l'allaitement sont bénignes (Encadré 3). Cependant, toute masse palpable nécessite une investigation afin d'éliminer la possibilité d'un cancer associé à la grossesse.
En effet, une masse maligne peut être à tort attribuée à un canal galctophorique bloqué, à des changements fiborkystiques ou encore à un kyste simple, tant par la patiente que par son clinicien. De ce fait, toute masse solitaire palpable chez une femme enceinte ou allaitant doit être investiguée par l'imagerie et, si nécessaire, biopsiée.
(Encadré 2)
(Encadré 3)
ÉVALUATION RADIOLOGIQUE
1-Â Â Â Quand
Il faut savoir que le bilan mammographique et échographique systématique chez la femme enceinte ou allaitant asymptomatique n'est pas indiqué.
Cependant il est indiqué devant une symptomatologie clinique qui peut être:
1-Â Â Â Une masse palpée par la patiente et/ou son clinicien;
2-Â Â Â Des changements inflammatoires;
3-Â Â Â Une suspicion d'abcès;
4-Â Â Â Un écoulement mamelonnaire sanguinolent.
 2-   Pourquoi
Le but de l'imagerie est de:
3-Â Â Â Comment
Le protocole optimal d'imagerie chez la femme enceinte ou qui allaite demeure controversé. L'évaluation devrait débuter par une échographie qui permet de confirmer une étiologie bénigne: un kyste, une galactocèle ou un ganglion intra-mammaire normal ne nécessitant pas de biopsie. Si l'échographie détecte une masse solide dont les caractéristiques morphologiques ne sont pas typiques d'une entité bénigne (BIRADS IV), une biopsie peut alors être réalisée afin de confirmer sa nature bénigne. Si, en se basant sur les caractéristiques échographiques, un diagnostic de malignité est soupçonné, (BIARDS V), Â une évaluation complémentaire par mammographie est souhaitable dans la recherche de lésions additionnelles ou de microcalcifications
(Encadré 4).
Malgré l'augmentation de la densité mammaire durant la grossesse et l'allaitement, la mammographie peut être contributive lorsqu'un cancer est suspecté chez la patiente. L'irradiation reçue par le f?tus lors d'une mammographie est minimale, surtout sous la protection d'un cache plombé abdomino-pelvien. Même sans ce dernier, l'irradition reçue par le f?tus au cours des 4 incidences standards d'une mammographie diagnostique est estimée à 0.4 mrad, nettement inférieure à 2mrad/semaine, la dose reçue par le f?tus de la radiation terrestre ambiante. Bien qu'une dose de 10 rad ou plus soit nécessaire pour causer des malformations foetales et qu'une irradiation foetale ne dépassant pas les 5 rad ne soit pas associée au développement de malformations ou un retard de croissance, il convient d'être vigilant et ne pas assumer d'emblée l'absence de risque f?tal, puisque le risque réel n'est pas connu. C'est pour cette raison qu'une mammographie de dépistage n'est pas indiquée chez la femme enceinte asymptomatique, mais l'évaluation complète d'une masse palpable chez une femme enceinte ne devrait pas, non plus, être différée à la période post-natale par simple crainte d'irradiation f?tale. L'IRM mammaire avec injection de Gadolinium est par contre contre-indiquée chez la femme enceinte, mais peut être réalisée chez la femme qui allaite, sans crainte de toxicité pour son nourrisson.
LES MASSES PALPABLES CHEZ LA FEMME ENCEINTE OU QUI ALLAITE (Encadré 3):
1-Â Â Â Mastite et abcès mammaire
2-Â Â Â Une galactocèle
(Figure 1.a)
(Figure 1.b)
3-Â Â Â Modifications fibrokystiques
Peuvent progresser en cours de la grossesse et être responsables d'une masse palpable cliniquement. Le diagnostic se fait aisément à l'échographie.
4-Â Â Â Masse solide
                                             i.    Fibroadénome
C'est la tumeur bénigne la plus fréquente chez la jeune femme avant 35 ans. C'est une tumeur fibroépithéliale hormonosensible pouvant se développer au cours de la grossesse comme augmenter de volume sous l'influence des estrogènes circulantes. En échographie. le fibroadénome est typiquement ovalaire, à contours bien circonscrits et hypoéchogène; en cours de grossesse, il peut se modifier et devenir hétérogène. (Figure 2 (a,b,c)).
                                           ii.    Adénome lactant
Tumeur stromale bénigne se développant uniquement en cours du 3e trimestre de grossesse. Elle peut ainsi se voir durant cette période ou au cours de la période d'allaitement et elle se présente en échographie sous forme d'une masse ovalaire hypoéchogène souvent difficilement discernable du tissu glandulaire adjacent. Les adénomes lactants régressent après l'arrêt d'allaitement
                                             i.    Cancer du sein associé à la grossesse
Défini comme étant un cancer du sein diagnostiqué durant la grossesse et la 1re  année post-partum. Son incidence varie entre 1/ 3000 à 1/ 10000 grossesses et il représente de 0.2 à 3.8% de tous les cancers du sein. Il est également considéré comme le cancer le plus fréquent chez la femme enceinte et la cause la plus fréquente de décès chez la femme enceinte ou qui allaite. Environ de 7 à 14% des cancers diagnostiqués chez la femme jeune âgée de moins de 40 ans sont associés à la grossesse. Historiquement, les cancers du sein associés à la grossesse sont de mauvais pronostics et souvent diagnostiqués à un stade avancé. Fig (3).
Les facteurs potentiels contribuant au mauvais prognostic et le stade avancé au diagnostic peuvent être:
1-Â Â Â L'examen clinique difficile des seins chez la femme enceinte ou qui allaite;
2-Â Â Â L'attribution fréquente et à tort d'une masse palpable chez la femme enceinte ou qui allaite à un processus bénin retardant ainsi le diagnostic;
3-Â Â Â Possible aggravation de la croissance tumorale par la stimulation hormonale importante durant la grossesse;
4-Â Â Â Un pourcentage plus élevé de tumeurs plus agressives ;
5-Â Â Â Potentiel métastatique plus élevé en rapport avec un apport vasculaire et lymphatique plus riche durant la grossesse et l'allaitement.
Conclusion:
Bien qu'une masse palpable chez une jeune femme enceinte ou allaitant est le plus souvent bénigne, une évaluation clinique et radiologique reste indiquée afin de le confirmer et d'éliminer de façon formelle la possibilité d'une lésion maligne. L'échographie est l'imagerie de choix chez ces patientes. Si l'anomalie palpable est une masse solide dont les caractéristiques échographiques sont indéterminées, une biopsie peut être réalisée afin de confirmer sa nature bénigne. Si un cancer est suspecté, une mammographie doit compléter le bilan.
Légendes:
Fig 1: Patiente de 30 ans se présentant pour une masse palpable retro-aréolaire en cours d'allaitement. ,a) masse ovalaire bien délimitée à contenu mixte anéchogène et hypoéchogène (flèches). b) incidence mammographique agrandie montrant une masse bilobée à contenu graisseux entourée d'un fin liseré dense typique d'une galactocèle (fleches).
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Fig 2: Patiente de 27 ans enceinte au 3ème trimestre de grosssesse se présentant pour une masse palpable. a) masse plurilobulée bien définie confirmée être un fibroadénome avec changements lactationnels (flèches). Régression documentée aux suivis de : b) 6 mois et c) 12 mois post partum.
Â
Fig 3: Patiente de 27 ans enceinte se présentant pour un écoulement sanguinolent gauche et un empâtement du sein gauche. Incidence mammographique agrandie démontrant la présence de mcicrocalcifications diffuses et pléomorphes hautement suspectes.