Dr Erica Patocskai
Chirurgienne Oncologue, CHUM
Professeur Adjointe Université de Montréal
Pour toutes les femmes qui doivent faire face à un diagnostic de cancer, il se crée une anxiété concernant le risque de récidive, de même qu'un impact sur l'image corporelle. Les patientes peuvent subir maints changements physiques, incluant une perte de cheveux suite à la chimiothérapie, une mastectomie partielle ou totale ainsi que des changements cutanés dus à la radiothérapie. La bonne nouvelle, c'est que la chirurgie pour le cancer du sein devient moins invasive. Les jours de mastectomie radicale sont dépassés, et les complications de lymph?dèmes massifs sont devenues une rareté. Mettre l'emphase sur ces récents changements, qui diminuent les séquelles post-chirurgicales, aide sensiblement les femmes dans le processus décisionnel des traitements et contribue à diminuer l'anxiété.
Localisation des tumeurs non palpables
Avec l'avènement des programmes de dépistage, l'incidence de cancer du sein de stade précoce a augmenté de manière significative. Ces tumeurs sont souvent non palpables et posent un défi chirurgical au niveau de la résection, puisque le chirurgien ne peut pas sentir la tumeur sous ses doigts. La technique habituellement utilisée afin de repérer la tumeur est la localisation à l'aide d'un harpon en métal. Le matin de la chirurgie, la patiente doit se présenter au service de radiologie afin de se faire installer un harpon sous échoguidage ou sous stéréotaxie pour ensuite subir sa chirurgie pour le sein.
Il existe une nouvelle technique de localisation des tumeurs non palpables du sein par bille de titane avec une légère radioactivité I-125. L'insertion de cette bille se fait grâce à une aiguille sous guidage échographique ou stéréotaxique, de la même manière que la localisation au harpon. Lors de l'opération, le chirurgien utilise une sonde gamma qui permet le repérage précis de la bille et, par le fait même, l'emplacement de la tumeur. Cette sonde est déjà utilisée dans le repérage du ganglion sentinelle, une opération souvent pratiquée de concert avec la tumorectomie. Les résultats préliminaires des études sur cette technique indiquent qu'elle permettrait de réduire de 50% le taux de marges positives ou serrées. Ceci réduirait le nombre de réinterventions. De plus, les études rapportent que le volume du spécimen est diminué avec la bille d'iode-125; le résultat cosmétique s'en trouve donc amélioré. Cette technique peut s'effectuer dans les cinq jours précédents la chirurgie, ce qui représente un grand avantage au niveau logistique pour le radiologiste, le chirurgien et la patiente. Le CHUM est le seul centre au Québec qui offre le choix entre le harpon et la bille, et qui a validé la sécurité de cette technique pour des cancers du sein unifocal.
Chirurgie oncoplastique
La chirurgie oncoplastique est une tendance émergente dans la prise en charge chirurgicale du cancer du sein. La chirurgie combine la résection oncologique appropriée avec la reconstruction simultanée, afin d'offrir à la patiente le meilleur traitement esthétique possible. Cette approche originaire d'Europe est utilisée d'une façon systématique dans leurs centres cancérologiques ainsi qu'aux États-Unis. Au Québec et au reste du Canada, cette approche devient de plus en plus accessible grâce à l'entraînement des chirurgiens dans ces nouvelles techniques.
Mastectomie partielle
Le but d'une mastectomie partielle consiste à exciser la tumeur avec une marge de tissu normal d'un centimètre. Cependant, les marges microscopiques sont souvent plus petites une fois vérifiées par le pathologiste. Selon la taille de la tumeur, une importante cavité dans le sein peut entraîner une déformation. Chez une femme ayant des seins de plus petite taille, cette déformation est plus accentuée. Une règle de base demeure : lorsque 20% ou plus du volume du sein est excisé, le résultat esthétique est rarement acceptable. Le but de la chirurgie oncoplastique est de combler le déficit au cours de l'opération initiale pour éviter la déformation qui est très difficile à traiter à un stade ultérieur en raison de la fibrose post-opératoire et post-radique. Plusieurs techniques peuvent être utilisées pour reconstruire le sein; la plupart peuvent être accomplies par le chirurgien général, mais le chirurgien plastique est essentiel pour les reconstructions plus complexes.
Figure 1 Fermeture oncoplastique post-mastectomie partielle à gauche suite à une résection, cancer du sein pôle inférieur du sein. Entraîne habituellement une déformation importante.
Mastectomie totale
Parfois, le retrait de la totalité du sein est nécessaire afin d'éliminer tous les foyers tumoraux, ce qui implique un impact énorme sur l'image corporelle et la féminité de la patiente. L'atteinte est beaucoup plus que physique mais également émotionnelle et sexuelle. La grande majorité des femmes peuvent bénéficier d'une reconstruction mammaire immédiate lors de la mastectomie. Toute la peau du sein est alors conservée par le chirurgien général ou oncologique, selon le cas, et la glande est remplacée par un implant synthétique ou un lambeau de graisse transposé d'un site donneur. Cette procédure est considérée oncologiquement sécuritaire. Toutes les femmes sont candidates à une reconstruction immédiate, sauf si une atteinte cutanée est présente ou si la tumeur est tellement volumineuse que la marge cutanée n'est pas assurée. La chimiothérapie néoadjuvante (avant la chirurgie) induit une régression tumorale qui augmente la possibilité d'une préservation mammaire ou une reconstruction immédiate.
La radiothérapie post-opératoire n'est pas une contre-indication absolue pour cette procédure. Un impact négatif peut être présent en raison de la fibrose induite par la radiothérapie, cependant le résultat global s'avère presque toujours préférable à une reconstruction retardée lorsque toute la peau fibrosée doit être excisée. Elle demeure la seule option pour les femmes qui veulent un implant sans lambeau, car une fois la radiothérapie administrée, la possibilité d'une reconstruction réussie avec implant est grandement diminuée.
Figure 2 Mastectomie totale gauche avec reconstruction immédiate type DIEP, tatouage aréolaire et reconstruction mamélonnaire
Mastectomie totale avec préservation complexe aréolo-mamelonnaire
La stratégie récente développée par les chirurgiens afin d'améliorer les résultats esthétiques résulte en la préservation de l'aréole et du mamelon. Le résultat est mieux qu'un mamelon reconstruit et une aréole tatouée, mais la chirurgie est techniquement plus difficile et n'est pas encore jugée oncologiquement sécuritaire pour la majorité des patientes atteintes d'un cancer du sein. Cette technique est plus répandue en Europe et aux Etats-Unis, mais elle est réalisée au Québec chez certaines patientes soigneusement choisies. Il existe des critères stricts pour son utilisation, y compris une petite tumeur unifocale située loin du mamelon avec une congélation négative derrière le mamelon pendant la chirurgie. Les contre-indications relatives à cette procédure incluent les femmes ayant des seins volumineux et ptosés, de même que les fumeuses, en raison d'un risque accru de nécrose mamelonnaire. Contrairement à son utilisation limitée dans le cas du cancer du sein, la préservation des complexes aréolo-mamelonnaires lors de mastectomies prophylactiques est très répandue et généralement acceptée par la communauté médicale.
Les femmes sont invitées à prendre des décisions basées sur de grandes études rétrospectives; il serait impossible d'effectuer une étude prospective où les femmes seraient randomisées en deux groupes en préservant ou en supprimant le complexe aréolo-mamelonnaire, car il s'agit d'une décision on ne peut plus personnelle. Les futurs registres prospectifs peuvent aider à confirmer la sécurité oncologique de préserver le complexe aréolo-mamelonnaire dans le cancer du sein.
Figure 3 Mastectomie bilatérale avec préservation complexe aréolo-mamélonaire et reconstruction avec implant. À gauche pour cancer, à droite en prophylaxie.
Évolution de la chirurgie axillaire pour le cancer du sein
Un curage axillaire consiste à retirer des ganglions lymphatiques de l'aisselle avec une moyenne de douze ganglions excisés. L'analyse de ces ganglions lymphatiques aide à déterminer le stade de la tumeur et à déterminer les besoins de chimiothérapie et radiothérapie postopératoires. Malheureusement, le même bassin ganglionnaire qui draine le sein entraîne également un drainage du bras ipsilatéral, avec un risque découlant du lymph?dème de 10 à 15%. En 2013, la dissection des ganglions axillaires est largement reléguée à des situations où les ganglions sont cliniquement positifs. Si la patiente présente une aisselle normale, une biopsie du ganglion sentinelle est effectuée. Généralement de un à quatre ganglions lymphatiques sont retirés et analysés et s'ils contiennent des cellules tumorales, une dissection des ganglions peut être effectuée.
Plus récemment, ce paradigme de traitement a été contesté par la publication d'un essai contrôlé randomisé en 2011 (ACOSOG Z11) qui a montré des taux égaux de survie et de contrôle local lorsque le curage axillaire a été omis chez les patientes avec un ou deux ganglions lymphatiques positifs qui ont subi un traitement systémique et la radiothérapie. Cette étude a été critiquée tant par son manque de détails concernant les caractéristiques de la tumeur, les champs de radiothérapie, de même que l'analyse statistique qui a conduit à son adoption plus lente au Québec par rapport aux États-Unis. Cependant, chez les patientes ménopausées avec récepteurs hormonaux positifs (des tumeurs de bon pronostic), le curage axillaire est largement omis suite à une biopsie du ganglion sentinelle avec un à deux ganglions positifs. C'est un avantage énorme pour les patientes qui diminuent de plus de la moitié leur risque de lymph?dème. À cette époque, cette approche ne s'appliquait pas aux patientes recevant une chimiothérapie préopératoire ou une mastectomie totale. Son application chez les jeunes patientes atteintes de tumeurs de mauvais pronostic devrait être décidée après une discussion avec le chirurgien traitant concernant les avantages et les inconvénients de chaque approche et soigneusement examinée par la patiente.
Résumé
La chirurgie du cancer du sein a beaucoup évolué au cours des dernières décennies, mettant l'accent non seulement sur les résections oncologiques sécuritaires, mais aussi sur le résultat esthétique qui a un impact signifiant sur la satisfaction de la patiente. Avec l'avènement de la chirurgie oncoplastique pour une mastectomie partielle et totale, ces techniques sont devenues courantes dans les grands centres comme le CHUM où on remarque une collaboration étroite entre les chirurgiens oncologues et les plasticiens. L'époque de déformations importantes du sein sont en grande partie chose du passé, ainsi que d'avoir à vivre sans la possibilité d'une reconstruction mammaire réussie après une mastectomie totale. Le caractère invasif de la chirurgie axillaire est également en baisse, ce qui profitera aux générations de femmes qui n'auront pas à vivre avec la complication du lymph?dème chronique.
Bibliographie
Bland K. Klimberg S. (2011)," Master Techniques in General Surgery: Breast Surgery", Lippincot, Williams & Wilkins
Giuliano AE, Hunt KK, Ballman KV, et al. Axillary dissection vs no axillary dissection in women with invasive breast cancer and sentinel node metastasis: a randomized clinical trial. JAMA. 2011;305(6):569-575