L'apnée du sommeil


Jean-Philippe Vézina, MD, FRCSC

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Fatigue, humeur dépressive, sommeil de mauvaise qualité, ces symptômes sont souvent bénins et passagers, mais dans certains cas ils sont le témoin d'une maladie dont les conséquences peuvent être graves : le syndrome d'apnée obstructive du sommeil (SAOS). Même s'il n'a été décrit dans la littérature scientifique que dans les années 60, le SAOS n'est pas une nouvelle maladie. Charles Dickens en avait déjà fait une description plus qu'exhaustive dans son roman Les papiers posthumes du Pickwick Club en 1837, dans le personnage de Joe, obèse, ronfleur et somnolent. Certains avancent même que Napoléon 1er en aurait souffert selon des textes publiés à son sujet.

Parmi la population nord-américaine, il est reconnu qu'environ 2 % des femmes, 4 % des hommes et 1 % des enfants en souffrent. Une proportion importante des cas demeure malheureusement non diagnostiquée.

La physiopathologie

Le SAOS est essentiellement provoqué par des rétrécissements périodiques du calibre du pharynx. Pendant le sommeil, plusieurs facteurs peuvent provoquer un rétrécissement ou un collapsus complet à ce niveau. Chez les sujets affectés, il en résulte des diminutions (hypopnées) ou des arrêts complets (apnées) du flot d'air. Il s'ensuit alors une cascade d'évènements qui mène ultimement à un éveil, ce qui permet de rétablir la circulation de l'air. La forte majorité de ces micro-éveils ne sont pas conscients. Ce cycle peut se répéter quelques fois par heure pour les cas légers à plusieurs fois par minutes dans les cas les plus sévères.

Puisque la présence répétée de micro-éveils perturbe le cours normal du sommeil, les patients rapportent la plupart du temps une mauvaise qualité subjective de leur sommeil et une diminution de la vigilance pendant la journée. Il est reconnu que les patients atteints de SAOS sont moins efficaces au travail et s'absentent plus souvent. Ils sont aussi deux fois plus à risque de faire des accidents de la route. Chez l'enfant, on peut observer des troubles d'apprentissage et des problèmes de comportement. Il est à noter, toutefois, que les symptômes sont extrêmement variables d'un individu à l'autre pour un même nombre d'évènements.

En plus de leurs conséquences cognitives, les apnées et les hypopnées ont un impact majeur sur le système cardiovasculaire puisqu'elles multiplient par 4 le risque de maladie coronarienne et doublent le risque d'AVC. Elles doublent également l'incidence du diabète de type II. Chez la femme enceinte, elles augmentent le risque d'hypertension, de pré-éclampsie, de diabète et de retard de croissance du f?tus. Chez l'enfant, elles peuvent causer des retards de croissance et, dans certains cas sévères, des troubles cardiaques.

Les facteurs de risque

Chez l'adulte, l'obésité est un facteur de risque prédominant du SAOS. On la retrouve dans 60 % des cas. Les autres éléments associés à une plus forte incidence de la maladie sont le sexe masculin, des antécédents familiaux de SAOS, la ménopause, l'âge avancé et certaines particularités du squelette facial, dont le recul de la mâchoire.

Chez l'enfant, le SAOS est associé dans la majorité des cas à une hypertrophie des adénoïdes et des amygdales.

Les symptômes

Puisque la maladie se développe habituellement lentement, il n'est pas rare que certains des symptômes du SAOS passent inaperçus. Ils sont souvent interprétés comme faisant partie de la personnalité du sujet.

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Chez l'adulte, la somnolence diurne excessive est probablement la raison de consultation qui mène le plus fréquemment à un diagnostic de SAOS (Tableau 1). Plusieurs outils peuvent être utilisés en clinique pour la quantifier. Ces outils sont toutefois imparfaits et leurs résultats sont facilement biaisés par une mauvaise interprétation des questions qu'ils contiennent. Parmi eux, l'échelle d'Epworth est la plus répandue. Elle expose huit situations de la vie courante pour lesquelles le sujet doit évaluer sur une échelle de 0 à 3 son risque de tomber endormi. Un score supérieur à 10 est considéré comme pathologique (Figure 1). Le résultat doit évidemment être interprété à la lumière des répercussions subjectives qu'a la somnolence dans la vie du patient.

Tel que mentionné précédemment, la fragmentation du sommeil provoquée par le SAOS peut également être à l'origine d'une diminution des fonctions cognitives. Ainsi, plusieurs patients mentionnent une diminution graduelle de leur mémoire et de leur capacité de concentration. Ces symptômes peuvent avoir un effet négatif sur les performances professionnelles. Enfin, la maladie peut être à l'origine d'une diminution des fonctions sexuelles (diminution de la libido et impuissance) et d'un syndrome dépressif.

Pendant la nuit, les patients souffrant de SAOS peuvent présenter un sommeil agité, des épisodes d'étouffements nocturnes, un besoin d'uriner fréquemment (nycturie) et une transpiration abondante. Le ou la partenaire est souvent incommodé par un ronflement bruyant et peut s'inquiéter de la présence d'arrêts respiratoires périodiques. Le sommeil est souvent jugé peu récupérateur et les patients peuvent présenter des maux de tête transitoires au réveil.

Chez la femme non ménopausée, la présentation clinique est typiquement légèrement différente. On observera plus souvent une fatigue sans somnolence importante et des problèmes d'insomnie. De plus, les symptômes dépressifs occupent souvent une place plus importante.

Chez l'enfant qui souffre de SAOS, il est fréquemment plus difficile de mettre en évidence la somnolence diurne. La fragmentation du sommeil se manifeste par des troubles de comportement, un déficit d'attention et des problèmes d'apprentissage. Pendant la nuit, les ronflements sont habituellement importants et des pauses respiratoires peuvent avoir été notées par les parents. Le sommeil est souvent agité, avec une transpiration abondante et une posture de tête en hyperextension. La maladie peut également être à l'origine d'un problème d'énurésie et de cauchemars répétés.

  Symptômes diurnes Symptômes nocturnes
Chez l'adulte
  • Fatigue
  • Somnolence
  • Maux de tête au réveil
  • Diminution de la mémoire
  • Troubles de la concentration
  • Dépression et autres troubles de l'humeur
  • Dysfonction sexuelle
  • Ronflement
  • Étouffements nocturnes
  • Pauses respiratoires objectivées par le partenaire
  • Sommeil agité
  • Transpiration abondante
  • Sommeil peu récupérateur
  • Nycturie
Chez l'enfant
  • Fatigue
  • Somnolence
  • Maux de tête au réveil
  • Troubles de comportement
  • Troubles d'apprentissage
  • Déficit d'attention
  • Ronflement
  • Étouffements nocturnes
  • Pauses respiratoires objectivées par les parents
  • Sommeil agité
  • Transpiration abondante
  • Énurésie
  • Hyperextension de la tête
  • Cauchemars

Tableau 1.  Principaux symptômes nocturnes et diurnes du SAOS

Veuillez évaluer les risques de vous endormir dans les 8 situations suivantes :
                                0 = Aucune chance de vous endormir1 = Faibles chances de vous endormir

2 = Chances moyennes de vous endormir

3 = Fortes chances de vous endormir

0

1

2

3

                Assis en train de lire

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                En regardant la télévision

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                Assis, inactif, dans un endroit public (au cinéma, en réunion?)

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                Comme passager dans une voiture roulant sans arrêt pendant 1 heure

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                Allongé l'après-midi pour se reposer si les circonstances le permettent

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                En parlant avec quelqu'un

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                Assis, au calme, après un repas sans alcool

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                Dans une auto immobilisée quelques minutes dans un bouchon de circulation

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Figure 1.  Échelle de somnolence d'Epworth

Le diagnostic

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La polysomnographie en laboratoire est le meilleur examen pour mettre en évidence la présence d'un SAOS. Il consiste à enregistrer plusieurs paramètres pendant une nuit entière, en milieu hospitalier ou en clinique et sous supervision continue par un technicien qualifié. Il s'agit d'un examen onéreux et complexe. Sa disponibilité au Québec est trop limitée pour qu'on y ait recours de façon systématique. C'est pourquoi il existe des épreuves simplifiées, plus facilement accessibles, qui permettent d'orienter le diagnostic et parfois de débuter un traitement sans avoir recours à l'examen complet. Les plus utilisées sont l'oxymétrie nocturne, qui consiste à enregistrer en continu la saturation artérielle en oxygène, et la polygraphie cardio-respiratoire du sommeil qui comprend une oxymétrie, une mesure du flot d'air et des mouvements du thorax et de l'abdomen. Ces deux épreuves peuvent être réalisées à domicile. Pour être utiles, leurs résultats doivent être interprétés à la lumière des autres informations cliniques.

Le diagnostic du SAOS repose sur l'identification de 5 ou plus apnées/hypopnées par heure de sommeil (index d'apnée/hypopnée), en présence d'un tableau clinique compatible. Chez l'adulte, on considère que la maladie est légère si l'index se situe entre 5 et 15, modérée s'il est de 15 ou plus mais inférieur à 30 et sévère s'il est de 30 ou plus.

Les traitements

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La décision de traiter ou non et le choix du traitement approprié dépendront du jugement clinique du médecin traitant et de la discussion avec le patient. Elle sera fonction de la sévérité de la maladie et de ses répercussions dans la vie du patient.

L'hygiène de vie

Certaines mesures d'hygiène de vie peuvent permettre de diminuer le nombre d'apnées et d'hypopnées. Dans cette optique, il est bénéfique d'encourager les patients à cesser de fumer, à perdre du poids, à adopter une saine alimentation et à limiter la prise d'alcool et de certains médicaments. De bonnes habitudes de sommeil (éviter les carences et suivre des horaires réguliers) doivent également être encouragées. Il peut être utile de prévenir et traiter la congestion nasale. Lorsque les examens ont démontré un plus grand nombre d'évènements respiratoires en position couché sur le dos, plusieurs méthodes peuvent être utilisées pour forcer le sommeil sur le côté.

La pression positive continue

La pression positive continue (PPC), appelée CPAP en anglais (continuous positive airway pressure) est généralement le traitement qui est proposé en premier à tous les patients qui présentent un SAOS sévère ou symptomatique. Il est habituellement prescrit et suivi par un pneumologue. À l'aide d'un masque ajusté autour du nez et parfois de la bouche, la PPC génère une pression d'air continue dans le pharynx. Cette pression permet d'écarter en permanence les parois pharyngées et ainsi d'éliminer (souvent presque complètement) les épisodes de collapsus qui occasionnent les apnées et les hypopnées. Il s'agit du traitement le plus efficace pour diminuer les symptômes du SAOS et ses nombreuses complications. La PPC doit être utilisée le plus souvent possible, idéalement toute la nuit, toutes les nuits. Les complications graves de la PPC sont rarissimes.

L'orthèse d'avancée mandibulaire

L'orthèse d'avancée mandibulaire (OAM) est un dispositif dentaire dérivé de l'orthodontie. Il comprend deux gouttières sur mesure qui s'insèrent solidement sur les dents, reliées par une pièce qui permet de maintenir la mâchoire en position avancée. Ce mouvement permet d'ouvrir l'espace pharyngé et ainsi de diminuer le nombre d'apnées et d'hypopnées. L'efficacité de l'OAM est plus dépendante de l'anatomie du patient que dans le cas de la PPC. Aussi, on la recommande principalement pour les cas légers ou modérés, peu symptomatiques, ou lorsque la PPC n'est pas tolérée ou possible. Les dents doivent être saines pour pouvoir supporter sans se déplacer la force de traction que l'appareil impose, et les articulations des mâchoires doivent être suffisamment souples. Pour tous les patients, un suivi par un dentiste compétent en troubles du sommeil est essentiel pour prévenir des éventuelles complications. Pour les mêmes raisons, le recours à des produits en vente libre qui ne sont pas fabriqués sur mesure est déconseillé.

La chirurgie

Les traitements chirurgicaux visent à corriger les particularités anatomiques qui favorisent le SAOS. Ils sont pratiqués par les chirurgiens ORL. Leur succès est directement relié à l'identification adéquate des facteurs d'obstruction chez un patient donné. Un grand nombre de procédures différentes ont été développées au fil du temps. Elles ont pour but d'élargir les voies aériennes supérieures et de les rendre moins sujettes au collapsus. Les interventions les plus pratiquées touchent le palais, les amygdales et la base de la langue. On y a surtout recours en présence d'un SAOS léger ou modéré, peu symptomatique, ou en cas d'échec à la PPC. Il est également possible d'avoir recours à une intervention lors de laquelle on corrige le recul des os du visage. Il s'agit de la chirurgie d'avancée bimaxillaire. Au Québec, elle est généralement pratiquée par les chirurgiens maxillo-faciaux. Certains gestes chirurgicaux peuvent également être nécessaires pour favoriser une meilleure tolérance à la PPC. Le taux de succès de la chirurgie du SAOS étant très variable, la sélection des patients est très importante.

Chez l'enfant

Dans la population pédiatrique, l'obstruction responsable du SAOS est le plus souvent liée à une hypertrophie des amygdales et des végétations. C'est pourquoi l'approche chirurgicale est habituellement favorisée en première intention. Pour les sujets chez qui la chirurgie est inefficace, non indiquée ou impossible, on peut avoir recours à la PPC comme chez l'adulte. Les traitements d'orthodontie avec expansion palatine sont aussi de plus en plus utilisés dans cette optique.

Conclusion

Le syndrome d'apnée obstructive du sommeil n'est pas à prendre à la légère. Ses répercussions et complications potentielles sont nombreuses et touchent de nombreux aspects de la vie du patient. Il est essentiel de le reconnaître et de le traiter adéquatement pour limiter le risque de complications améliorer la qualité de vie.


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