Insuffisance rénale : En quoi les pieds sont-ils affectés ?


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Par Dr Sébastien Hains,podiatre

Professeur clinique de médecine podiatrique, Université du Québec à

Trois-Rivières

Superviseur de stage de podiatrie en hémodialyse,Centre hospitalier régional de Lanaudière

 

L'insuffisance rénale terminale touchait 41 252 Canadiens en 2014 (Institut canadien d'information sur la santé). Les atteintes de la fonction rénale sont généralement classées en cinq stades. Alors que le premier présente une atteinte légère des reins  avec  moins  de  risque  pour  la  santé,  le cinquième stade, celui de l'insuffisance rénale terminale (IRT), a de nombreux effets sur les systèmes physiologiques, dont plusieurs ont des manifestations au niveau des pieds et des jambes. C'est à ce stade que la personne atteinte doit recourir à un traitement de suppléance rénale.

Les atteintes du pied associées à l'insuffisance rénale (IR) découlent essentiellement de l'accumulation de déchets métaboliques, de changement nerveux, de déséquilibres électrolytiques, d'atteintes vasculaires macro et microangiopathiques et d'affections tégumentaires. L'IR est à elle seule un facteur de risque d'ulcération aux pieds. La figure 1 énumère les prin- cipales pathologies du pied et de la jambe chez le diabétique et l'insuffisant rénal.

La principale cause d'insuffisance rénale au Canada est le diabète. Les lésions à la microcirculation liées à cette maladie comptent pour plus de 38 % des cas d'IRT (Fondation canadienne du rein). De plus, il est bien établi que le diabète cause plusieurs types d'affections aux pieds dont la plus grave est le développement de plaies qui précèdent 85 % des amputations non traumatiques du membre inférieur (Boulton et Armstrong, 2008).

Chez les patients diabétiques recevant un traitement de suppléance rénale, le risque d'amputation est dix fois supérieur aux autres diabétiques. La littérature démontre qu'en début de traitement de suppléance rénale, environ 10 % des patients ont un historique d'amputation au membre inférieur (Papanas et al., 2007).

« Les atteintes du pied associées à l'insuffisance rénale (IR) découlent essentiellement de l'accumulation de déchets métaboliques, de changement nerveux, de déséquilibres électrolytiques, d'atteintes vasculaires macro et microangiopathiques et d'affections tégumentaires. »

DÉCHETS MÉTABOLIQUES

Une dysfonction rénale entraîne une accumulation sérique d'urée (hyperurémie) et des problèmes d'élimination de l'acide urique (hyperuricémie). L'urée est un déchet cellulaire issu de la métabolisation des acides aminés et cause une toxicité directe sur les cellules du corps humain. Bien que les mécanismes biochimiques soient complexes, l'hyperurémie affecte les nerfs et entraine une diminution du chimiotactisme des polynucléaires neutrophiles (globules blancs) en plus de causer des changements au niveau de la peau et des téguments, notamment une perte de turgidité de la peau. Les affections des systèmes nerveux, immunitaire et dermatologique qui en découlent seront traitées plus bas.

Quant à l'acide urique, issue du métabolisme des purines, elle tend à être moins bien éliminée chez le patient ayant une fonction rénale diminuée. Elle s'accumule donc dans le sang (hyperuricémie) et tend à se déposer dans certaines articulations. Cette situation prédispose les insuffisants rénaux aux crises d'accès de goutte, un type d'arthropathie cristalline se manifestant souvent aux pieds, notamment à la première articulation métatarso-phalangienne. À l'occasion, des dépôts de cristaux d'acide urique se font aussi au niveau de plaies, ce qui en complexifie le traitement. L'acide urique est facilement dialysable, ce qui fait en sorte que ce sont surtout les patients atteints d'insuffisance rénale chronique (IRC), sans traitement de suppléance rénale, qui ont tendance à accumuler ce type de déchets métaboliques.

POLYNEUROPATHIE URÉMIQUE

L'atteinte nerveuse la plus significative au niveau du membre inférieur est une polyneuropathie urémique distale et symétrique. Au niveau clinique, elle s'apparente beaucoup à la polyneuropathie diabétique en gants et en chaussettes associée à l'hyperglycémie. On y retrouve une perte progressive des sensations protectives (neuropathie sensitive), associée à une amyotrophie (neuropathie motrice) et une perte des mécanismes de régulation du tonus vasculaire et du contrôle de la sudation (neuropathie végétative).

La perte de sensation protectrice expose les pieds aux traumatismes de toutes sortes et prédispose au développement de plaies, particulièrement sous les zones d'hyperpression (mal perforant plantaire). La neuropathie motrice se traduit par une atrophie de la musculature du pied qui favorise le développement de déformations (hallux valgus, orteils en griffe) et de saillies osseuses qui tendent à ulcérer sur un pied en perte de sensation. Quant à la neuropathie végétative, la perte de tonus vasculaire et du contrôle de la sudation favorisent le développement de callosités sèches et épaisses qui ont tendance à se fissurer et à ulcérer.

Cette polyneuropathie urémique constitue à elle seule un facteur de risque important de développement de plaies aux pieds chez l'insuffisant rénal. Lorsqu'associée à une défaillance du lit vasculaire et à une diminution de la fonction immunitaire, le mélange peut entraîner une cascade de complications aboutissant à l'amputation.

DÉSÉQUILIBRES ÉLECTROLYTIQUES ET ATTEINTES VASCULAIRES

L'insuffisance vasculaire à prépondérance artérielle et microangiopathique est trois fois plus présente chez les insuffisants rénaux que dans la population générale. Au fur et à mesure que la fonction rénale diminue, l'élimination des phosphates se fait plus difficilement par les reins. Cet état d'hyperphosphatémie entraine l'accumulation de calcium et de phosphate dans les vaisseaux sanguins, contribuant ainsi à leur calcification. Cette dernière est connue comme étant plus profonde et plus étendue chez les patients insuffisants rénaux et contribue à la diminution de leur espérance de vie.

Les patients souffrant d'IR sont particulièrement susceptibles de développer des plaques d'athérosclérose. En plus des facteurs de risque traditionnels (dyslipidémies, sédentarité, obésité, tabagisme), ces personnes présentent des particularités telles que l'inflammation chronique, la malnutrition, la rétention de liquide, l'altération du système rénine-angiotensine, l'hyperhomocystéinémie, des débalancements élec- trolytiques et différents processus oxydatifs qui affectent l'intégrité de la paroi des vaisseaux sanguins. Le traitement d'hémodialyse a aussi un effet sur la microcirculation et la perfusion en oxygène de la peau jusqu'à une période de quatre heures suivant le traitement (Kaminski et al., 2012).

Les traitements d'hémodialyse visent l'élimination du surplus de liquide et de déchets accumulés par le corps. Bien que nécessaire et bénéfique, la perte volumique provoque souvent une hypotension orthostatique qui peut durer quelques heures après le traitement. Cela affecte l'équilibre des patients qui sont davantage susceptibles de se cogner ou blesser les pieds. Ceci est particulièrement problématique chez les personnes en perte de sensibilité protectrice et affectés par la maladie artérielle périphérique.

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Photo 1 : Ichtyose associée à une sécheresse de la peau. Notez la formation d'un cor dorsal particulièrement dur et sec sur le deuxième orteil.

AFFECTIONS TÉGUMENTAIRES

Les variations volumiques, la déshydratation, la dénutrition, l'hyperurémie et l'inflammation contribuent à une perte de la turgidité de la peau. À cela peut s'ajouter la micro et macro angiopathie et la neuropathie végétative qui fragilisent aussi l'appareil tégumentaire.

Le prurit urémique est une des plus fréquentes affections der- matologiques des patients atteints d'IR. Bien que son étiologie ne soit pas bien élucidée, il serait associé à la présence de facteurs inflammatoires et à l'augmentation d'urée et de phosphates dans le sang en combinaison avec une sécheresse de la peau. Cette xérose de la peau peut aussi être particulièrement sévère et causer une forme d'ichtyose acquise (voir photo 1).

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Photo 2 : Bullose de l'hémodialysé. Cette bulle s'est développée dans les heures suivant un traitement d'hémodialyse sur une zone exposée à la friction de la chaussure.

L'IRT entraine aussi des changements pigmentaires, particulièrement chez l'hémodialysé.

Ces changements de coloration de la peau et des ongles seraient présents chez près de 70 % des patients et est attribuable à une augmentation de la concentration de mélanine dans la couche basale de l'épiderme, ainsi qu'à des dépôts d'hémosidérine et à la rétention de caroténoïdes et de lipochromes dans la peau et les tissus sous-cutanés. Les changement pigmentaires les plus courants sont les ongles moitié-moitié et une coloration brunâtre de la peau (Abdelbaqui-Salhab et al., 2003).

Les patients atteints d'IRT sont aussi susceptibles de développer des dermatoses bulleuses. Au niveau des pieds, la bullose de l'hémodialysé concerne une fragilité de la jonction dermo-épidermale causée par une microangiopathie associée à une accumulation de nitrates. La formation de bulle a tendance à se

produire dans des zones de friction, notamment autour et en dessous des pieds dans la période suivant un traitement d'hémodialyse (voir photo 2). La perfusion en oxygène diminuée de la jonction dermo-épidermale pendant le traitement d'hémodialyse prédispose à cette condition.

DIMINUTION DE LA DÉFENSE IMMUNITAIRE

Tel que mentionné plus haut, l'hyperurémie est associée à une diminution du chimiotactisme des leucocytes. Au niveau des pieds, cela se traduit par une incidence accrue d'infections opportunistes, notamment à la peau et aux ongles. On retrouve fréquemment des onychomycoses surinfectées aux pseudomonas et des gerçures interdigitales qui tendent à favoriser le développement d'infections plus étendues (cellulite, érysipèle?).

Cette prédisposition à l'infection constitue un facteur de risque additionnel au développement de plaies complexes.

« La principale cause d'insuffisance rénale au Canada est le diabète. Les lésions à la microcirculation liées à cette maladie comptent pour plus de 38 % des cas d'IRT (Fondation canadienne du rein).  »

PRÉDISPOSITION AU DÉVELOPPEMENT DE PLAIES AUX PIEDS

L'accumulation de déchets métaboliques tels que l'urée et l'acide urique, la présence de polyneuropathie urémique, de maladies vasculaires et la dépression immunitaire accroissent considérablement le risque de développer des plaies.

Considérant que beaucoup de patients en traitement de suppléance rénale sont diabétiques, il faut additionner les risques de complications liées à cette maladie en plus de ceux liées à l'IR. On peut ainsi aisément comprendre pourquoi ils sont à risque accru d'amputation. Des études démontrent que l'insuffisant rénal diabétique court 6,5 à 10 fois plus de chance d'être amputé que le diabétique sans IRT (Papanas et al., 2007). Si on considère que les diabé- tiques courent 46 fois plus de risque de subir une amputation d'un segment distal au genou, le patient diabétique en traitement de suppléance rénale requiert une attention spéciale pour la prévention des complications aux pieds.

Les traitements de suppléance rénale exigent beaucoup de temps. La nécessité de se présenter à l'hôpital trois fois par semaine pour une séance d'hémodialyse d'environ trois ou quatre heures focalise une grande partie de l'attention de ces patients pour leur santé. Leur demander de s'inspecter régulièrement les pieds et de recourir aux services d'un professionnel à l'externe des centres de soins déjà fréquentés peut s'avérer une exigence de trop, particulièrement si on considère l'incidence des problèmes dépressifs de cette clientèle. Dans un tel contexte, leur fournir un service de prévention et de traitement des pathologies des pieds pendant les séances d'hémodialyse peut s'avérer une méthode efficace pour réduire le nombre d'amputations et diminuer les coûts financiers et humains associés aux complications des pieds.

« Les traitements de suppléance rénale exigent beaucoup de temps. La nécessité de se présenter à l'hôpital trois fois par semaine pour une séance d'hémodialyse d'environ trois ou quatre heures focalise une grande partie de l'attention de ces patients pour leur santé.»

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Références :

ICIS, 2014. Traitement du stade terminal de l'insuffisance organique au Canada de 2003 à 2012, consulté en ligne le 15 février 2015, Institut Canadien d'Information sur la Santé www.icis.ca

Fondation Canadienne du Rein, 2015. Site internet consulté le 17 février 2015. www.rein.ca

Boulton AJ, Armstrong DG, 2008. The diabetic foot: grand overview, epidemiology and pathogenesis. Diabetes/Metabolism Research and Reviews, Vol 24 Issue Supplement 1, Pp S3-S6, May/June 2008.

Papanas, N. et al. 2007. The Diabetic Foot in End Stage renal Disease. Renal Failure, Vol 29. Pp. 519-528.

Kaminsky et al. 2012. Prevalence of risk factors for foot ulceration in patients with end-stage renal disease on haemodialysis. Internal Medicine Journal, Vol 42 No 6, June 2012, Pp. e120-e128.

Abdelbaqi-Salhab et al. 2003. A current review of the cutaneous manifestations of renal disease, Journal of Cutaneous Pathology, vol. 30, No 9, Pp.527-537.

 

 


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