Par Coralie Emond, podiatre
Les verrues plantaires et les callosités sont des motifs de consultation très fréquents en clinique. On évalue à 10% le risque de développer une verrue au courant de notre vie, et plus de 18% d'entre nous souffrirons d'une callosité douloureuse. Les verrues plantaires sont plus fréquemment rencontrées chez les enfants et les jeunes adultes, alors que les callosités vont toucher essentiellement les adultes et personnes âgées.
Afin d'établir un plan de traitement adéquat, il est nécessaire de bien différencier ces deux lésions. Leur étiologie est bien distincte, alors que les endroits où on les retrouve sont parfois très semblables.
Étiologie
Les verrues sont des tumeurs cutanées bénignes causées par le virus du papillome humain (HPV). Elles sont contagieuses et sont transmises par contact avec des surfaces ou personnes infectées. Puisque le virus peut survivre dans les environnements humides tels que les bords de piscine ou planchers de douche, les gens qui fréquentent ces endroits publics sont plus à risque. La période d'incubation se situerait entre 1 et 8 mois.
Les callosités sont des épaississements de l'épiderme, plus précisément de la couche cornée, secondaire à des microtraumatismes répétés. Lorsque le frottement ou la pression est exercé sur une zone circonscrite, il donnera lieu à un cor, alors que, sur une région plus diffuse, il produira de la corne/callosité étendue. La formation d'un cor dépend, d'une part, de la pression ou de la friction et, d'autre part, de la présence d'une proéminence osseuse comprimant la peau.
Diagnostic : Cor ou verrue?
Les cors et les verrues peuvent se ressembler au premier abord. Pour aider à bien différencier ces 2 lésions, l'observation, la palpation, le questionnement du patient et le débridement sont essentiels.
L'examen des deux pieds nous permettra de vérifier si les lésions sont symétriques et bilatérales, ce qui pourrait davantage nous orienter vers le diagnostic de corne/cor, bien que ces derniers puissent également se présenter comme lésion solitaire. Le cor se présentera comme un noyau de corne très dense s'introduisant dans la peau, de forme conique, sous une proéminence osseuse. Il est directement relié aux pressions, tel qu'expliqué précédemment, c'est pourquoi on le retrouve sous les saillies osseuses ou aux endroits exposés aux frictions telle que la face dorsale des orteils. Plusieurs facteurs peuvent engendrer la formation d'un cor : une chaussure mal ajustée, des coutures ou irrégularités à l'intérieur de la chaussure, une biomécanique anormale, des orteils marteaux, etc. C'est donc dire que l'endroit où se retrouve le cor nous en indique beaucoup sur la condition des pieds d'un patient. Par exemple, un cor situé sur le dessus des orteils est probablement le reflet de chaussures peu profondes qui causent un frottement. Un cor situé sous l'articulation interphalangienne du gros orteil pourrait traduire la présence d'un os accessoire ou être secondaire à un hallux limitus. À la palpation, la théorie veut que le cor soit plus sensible à la pression directe, alors que la verrue serait plus sensible à la compression latérale.
D'un autre côté, la verrue n'est pas nécessairement retrouvée sous une proéminence osseuse, bien qu'elle ait souvent tendance à se développer aux points d'appui. Les microtraumatismes ou petites ouvertures de la peau joueraient un rôle dans la contamination par le virus. La verrue est couleur peau et quelque peu rugueuse au toucher. À la face plantaire des pieds, elle sera plane, alors que sur les orteils, elle peut être légèrement surélevée. Le débridement sera décisif pour établir le diagnostic : la verrue plantaire a tendance à saigner légèrement en raison des capillaires thrombosés présents à sa surface. À l'examen, ils apparaissent comme plusieurs petits points noirs.
Le questionnement au patient pourra également nous aider à poser le bon diagnostic. Le cor se développe sur plusieurs mois ou années, tandis que la verrue apparaît relativement rapidement. De plus, la verrue est rarement douloureuse alors que le cor l'est pratiquement toujours.
Plusieurs autres conditions peuvent s'apparenter aux verrues ou cors plantaires : molluscum contagiosum, corps étranger, porokératose, mélanome amélanotique (non pigmenté) et carcinome spinocellulaire. Dans le doute, la biopsie est indiquée.
Établir le diagnostic de cor ou de verrue | |
Verrue | Cor |
Solitaire ou multiples | Solitaire et lorsque multiples, peuvent être symétriques et bilatéraux |
Peut se retrouver n'importe où, plus souvent aux points d'appui | Sous les proéminences osseuses ou aux endroits de friction/pression |
Douloureuse au pincement latéral | Douloureux à la pression directe |
Plusieurs petits points noirs en surface (capillaires thrombosés)
Saignement léger au débridement |
Ne saigne pas au débridement |
Développement rapide | Développement sur plusieurs mois |
Rarement douloureuse à la marche | Douloureux à la marche |
Pourquoi traiter ? Â
Très souvent, nous voyons des patients en clinique qui présentent des verrues depuis plusieurs années, sans avoir tenté de traitement, puisqu'ils avaient entendu dire qu'elles allaient partir d'elles-mêmes. Il est vrai que les études prouvent que la grande majorité (65-78%) des verrues disparaît spontanément dans les 2-3 ans suivant leur apparition. Toutefois, plusieurs raisons nous encouragent à traiter les verrues plantaires avant la fin de cette période.
Premièrement, un traitement entrepris rapidement permettra de diminuer la transmission du virus ailleurs sur les pieds du patient, ou même, à d'autres personnes. De plus, il est toujours plus facile pour le clinicien de traiter une verrue solitaire ou de moins grande taille que des verrues plantaires multiples ou en présentation mosaïque. Les études ont d'ailleurs prouvé que les meilleurs taux de succès sont retrouvés chez les jeunes patients qui présentent une verrue depuis quelques temps seulement. Également, en traitant la verrue à un stade peu avancé, nous évitons les traitements plus agressifs pouvant entraîner des cicatrices permanentes.
Il est clair qu'une verrue plantaire douloureuse qui saigne ou qui incommode le patient sera traitée lors de sa première consultation pour empêcher que l'inconfort ne persiste.
D'un autre côté, certaines conditions nous empêchent de traiter ou, du moins, nous dirigent vers des solutions qui diminueront l'inconfort sans toutefois espérer une guérison complète. C'est le cas entre autres, des patients immunosupprimés, des femmes enceintes ou qui allaitent, et des personnes âgées qui ont des problèmes de circulation. Nous devons également porter une attention particulière aux patients souffrant de diabète.
Pour ce qui est du cor, qui est souvent très douloureux, ce motif suffit à entreprendre le traitement lorsque le patient se présente à la clinique. De plus, il ne disparaît pas spontanément comme la verrue peut le faire. Lorsqu'il est incommodant, il peut pousser le patient à développer une démarche antalgique et engendrer d'autres douleurs. Les patients diabétiques sont plus à risque de développer un ulcère sous les callosités; un traitement régulier leur sera alors conseillé.
Traitements
Chaque patient doit être évalué individuellement. Plusieurs critères nous permettront de nous diriger vers le traitement approprié pour chaque personne. Nous devons prendre en considération l'âge du patient, depuis combien de temps la verrue est présente, s'il y a eu des changements dans l'apparence ou le nombre de verrues, s'il y a eu des traitements effectués précédemment et l'état de santé général du patient.
En ce qui concerne les traitements à domicile à base d'acide salicylique (entre 10 et 40%) que l'on retrouve sur les tablettes en pharmacie ou en préparation magistrale, l'amélioration est généralement perçue après 2 semaines de traitement. La guérison complète peut prendre de 4 à 12 semaines. Le patient devrait être informé de cesser l'application et consulter si la verrue est toujours présente après 12 semaines. Cette méthode est bien tolérée et peu coûteuse. Toutefois, son application peut être fastidieuse et plusieurs personnes se décourageront avant l'atteinte de la guérison.
La cryothérapie est également une option de traitement standard et fréquemment utilisés par les dermatologues et omnipraticiens. La procédure doit être répétée chaque 2 ou 3 semaines jusqu'à la guérison. Plusieurs études établissent l'équivalence du traitement par azote liquide avec le traitement par acide salicylique. L'application du produit est souvent douloureuse et est plus facilement tolérée par les adultes que par les enfants.
La majorité des podiatres utilisent la cantharidine dans leur pratique. L'avantage est l'absence de douleur lors de l'application, ce qui est particulièrement intéressant lorsque l'on traite des enfants. La cantharidine agit en créant une ampoule qui exfolie les couches superficielles de la peau afin de détacher le virus. L'ampoule peut être sensible 2-3 jours suivant l'application, mais ne laisse aucune cicatrice.
Un des traitements les plus efficaces est l'injection intralésionnelle de sulfate de bléomycine, qui présente des propriétés antibactérienne, antinéoplasique et antivirale. Ses effets thérapeutiques passent par l'inhibition de la synthèse de l'ADN. Ce traitement est réservé aux verrues résistantes, plus imposantes et présentes depuis longtemps. L'injection s'effectue à l'aide d'une aiguille ou d'un injecteur à pression (Dermojet) et causera, après 48-72 heures, une nécrose du tissu verruqueux. Le traitement par sulfate de bléomycine est très efficace, généralement rapide, ne cause pas de cicatrice, ne nécessite pas l'application de pansement protecteur et s'avère moins douloureux que les méthodes chirurgicales.
Plusieurs autres traitements peuvent être utilisés : le formaldéhyde, la chirurgie, le laser, le 5-fluorouracile, l'acide monochloroacétique, le nitrate d'argent et la cimetidine. Les quatre qui ont été présentés dans le texte sont, selon mon expérience, les plus utilisés en podiatrie.
Pour les cors plantaires, le traitement de choix demeure la prévention. Comme ils sont le résultat d'un stress mécanique, d'un frottement ou d'une friction, le port de chaussures souples et confortables, assez larges et profondes pour ne pas comprimer les orteils aidera à empêcher la formation de corne. Les endroits sujets au frottement peuvent être protégés par des rondelles de feutres, pads en gel ou autre matériel. Il est également important de bien hydrater la peau.
Afin de procurer un soulagement des symptômes, le podiatre peut effectuer un débridement des lésions. Ce traitement est souvent seulement palliatif, puisque les microtraumatismes continuant, le cor se reformera. C'est pourquoi les conseils énoncés précédemment quant aux chaussures seront prodigués au patient afin d'éviter la récurrence. Sinon, certaines chaussures adaptées ou orthèses pourraient diminuer les zones de pression. L'application d'agents kératolytiques comme l'acide salicylique a également été documentée. La chirurgie peut être indiquée lorsque les méthodes conservatrices ont échouées.