Les conséquences de la stigmatisation à l'égard des personnes en surpoids

Par Andrée-Ann Dufour Bouchard, Dt.P., M. Sc. Chef de projets | ÉquiLibre

Vous entrez dans un restaurant de «fast- food». En attendant de commander, votre regard se pose sur une personne obèse qui mange un hamburger et des frites. Vous vous dites qu’elle ne s’aide pas en mangeant de la malbouffe. Et pourtant, vous n’avez pas remarqué la personne mince qui mange exactement la même chose. Et n’êtes-vous pas, vous aussi, en train de faire la file pour commander le même type de nourriture?



Par Andrée-Ann Dufour Bouchard, Dt.P., M. Sc. Chef de projets | ÉquiLibre

Malheureusement, ces préjugés sont omniprésents et cela fait en sorte que la stigmatisation des individus en surpoids est encore trop souvent banalisée ou considérée comme étant « acceptable ». Le phénomène prend de l'ampleur de manière inquiétante : des études démontrent que la discrimination à l'égard du poids a augmenté de 66 % au cours de la dernière décennie2. Il est d'ailleurs possible d'en observer les manifestations partout : dans les médias, dans les écoles, dans les milieux de travail et même dans les services de santé.

DES PRÉJUGÉS ASSOCIÉS À UNE SIMPLIFICATION DES CAUSES DE L'OBÉSITÉ

Trop de gens pensent que les personnes en surpoids sont responsables de leur situation et n'ont qu'à « se prendre en main » en mangeant moins et en bougeant plus. Pourtant, les causes de l'obésité sont complexes, multiples et plusieurs facteurs influencent l'apport et la dépense énergétique, dont certains sur lesquels l'individu n'a pas le plein contrôle (ex : prise de médicaments, ménopause, hérédité, traits de personnalité, etc.). L'épidémie mondiale d'obésité n'est certainement pas explicable par une épidémie mondiale de paresse… Elle est plutôt attribuable à des changements qui se sont opérés dans les environnements alimentaires (ex : augmentation de la taille des portions, aliments transformés gras et sucrés disponibles par- tout, etc.) et bâtis (ex : automatisation, monde centré sur l'utilisation de l'automobile, etc.) qui favorisent la surconsommation alimentaire et la sédentarité4.

Si l'obésité est perçue comme une condition dont les causes sont facilement contrôlables par l'individu, les personnes obèses risquent davantage d'être tenues responsables de leur état et d'être stigmatisées. En prenant le temps de mieux comprendre les causes de l'obésité et en cessant d'attribuer le blâme à l'individu en surpoids, on peut développer des attitudes plus positives et ainsi mieux venir en aide à ces personnes trop souvent jugées pour leur condition.

LES CONSÉQUENCES DE LA STIGMATISATION

Il est encore commun de croire que si les personnes en surpoids sont stigmatisées et mal dans leur peau, elles seront d'autant plus motivées à maigrir. Loin de les aider, la stigmatisation vécue par les personnes en surpoids est plutôt associée à des comportements alimentaires malsains5 (ex : utilisation de régimes drastiques, surconsommation alimentaire) et à une plus faible pratique d'activité physique6. On observe également une vulnérabilité accrue à la dépression, à l'anxiété, à une faible estime de soi, à une image corporelle négative et même à des pensées suicidaires6. Le stress psychologique chronique, l'anxiété et l'hu- meur négative causés par la stigmatisation peuvent même contribuer au gain de poids en activant des mécanismes physiologiques qui influencent le méta- bolisme du gras ainsi que la régulation de l'appétit. Aucune de ces conditions n'est donc favorable à l'amélioration de la santé ou du bien-être.

DES SOINS DE SANTÉ COMPROMIS

Tout comme la population en général, les professionnels de la santé ne sont pas exempts de préjugés. Plusieurs perçoivent les personnes obèses comme des gens paresseux, qui ne respectent pas les recommandations de traitement. Les personnes en surpoids ont d'ailleurs rapporté vivre de la stigmatisation de la part de 69 % des médecins, 46 % des infirmières, 37 % des nutritionnistes et 21 % des psychologues7. Ces attitudes ou comportements négatifs à l'égard des patients ou client peuvent en effet compromettre la qualité des soins offerts. Par exemple, la recherche démontre que les intervenants passent moins de temps et donnent moins de conseils de santé aux patients obèses qu'aux patients plus minces8.

Les patients obèses sentent qu'ils ne sont pas pris au sérieux, que leur surplus de poids est perçu comme la source de tous leurs problèmes médicaux et sont moins à l'aise d'aborder leurs inquiétudes à l'égard de leur poids avec le professionnel de la santé. C'est, entre autres, pour ces raisons que les individus stigmatisés utilisent moins les services de santé.

« Si l'obésité est perçue comme une condition dont les causes sont facilement contrôlables par l'individu, les personnes obèses risquent davantage d'être tenues responsables de leur état et d'être stigmatisées. »

« Les patients obèses sentent qu'ils ne sont pas pris au sérieux, que leur surplus de poids est perçu comme la source de tous leurs problèmes médicaux et sont moins à l'aise d'aborder leurs inquiétudes à l'égard de leur poids avec le professionnel de la santé. »

DES PISTES POUR CONTRER SES PRÉJUGÉS

La toute première étape est d'en prendre conscience. Les préjugés à l'égard des personnes en surpoids sont tellement ancrés qu'on peut en avoir sans même le réaliser. Par la suite, il importe de se questionner sur ses idées préconçues afin d'évaluer si elles sont fondées ou non et d'adapter ses interventions en conséquence.

Le Rudd Center for Food Policy and Obesity, qui se spécialise sur la question de la stigmatisation à l'égard du poids, propose plusieurs outils de réflexion9 afin de prendre conscience de ses préjugés, de même que des stratégies10 pour réduire les préju- gés à l'égard du poids. Par exemple :

*) Prendre conscience du fait que la personne en surpoids a possiblement déjà vécu de la stigmatisation de la part d'autres professionnels de la santé et faire preuve de sensibilité et d'empathie envers celle-ci;

*) Reconnaître que les causes de l'obésité sont complexes, multiples et interreliées;

*) Reconnaître que plusieurs personnes ont déjà tenté de perdre du poids à plusieurs reprises;

*) Mettre l'accent sur les changements de comportements plutôt que sur la perte de poids;

*) Reconnaître qu'il n'est pas facile de changer ses habitudes de vie et soutenir la personne dans sa démarche;

*) Reconnaître qu'une perte de poids modeste peut grandement améliorer les paramètres de santé;

*)etc.

L'organisme ÉquiLibre offre également des formation permettant de mieux comprendre la complexité des problèmes liés au poids et d'accompagner sa clientèle dans un processus de changement d'habitudes de vie en favorisant le développement ou le maintien d'une image corporelle positive.

Si la stigmatisation avait réellement eu le pouvoir d'aider les individus en surpoids à adopter de meilleures habitudes de vie, l'épidémie d'obésité serait probablement endiguée. Elle n'est donc pas la solution au problème et, comme toutes les autres formes de discrimination, elle ne devrait pas être tolérée. Il importe de travailler collectivement à réduire la stigmatisation des personnes en surpoids afin que tous puissent développer leur plein potentiel de santé et de bien-être et ce, peu importe leur poids.

Références

1-Brownell KD, Puhl RM, Schwartz MB, Rudd L, eds. Weight Bias: Nature, Consequences, and Remedies. New York, NY: The Guilford Press (2005).

2-Andreyeva T, Puhl RM, Brownell KD. Changes in perceived weight discrimination among Americans: 1995–1996 through 2004–2006. Obesity (Silver Spring).16(5):1129–1134 (2008)

3-Puhl RM, Heuer CA. The Stigma of Obesity: A Review and Update. Obesity (2009)

4-Cohen DA. Obesity and the built environment: changes in environmental cues cause energy imbalances. Int J Obes (Lond). 32 (suppl 7): S137–S142. (2008)

5-Libbey HP, Story MT, Neumark-Sztainer DR, Boutelle KN.Teasing, disordered eating behaviors, and psychological morbidities among overweight adolescents. Obesity (Silver Spring). 16 (suppl 2): S24–S29. (2008)

6-Friedman RR, Puhl Rm. Weight biais : a social justice issue. A policy brief. Rudd Report. (2012). www.yaleruddcenter.org.

7-Puhl RM, Brownell KD. «Confronting and coping with weight stigma: an investigation of overweight and obese adults». Obesity 14: 1802-1815. (2006)

8-Puhl RM, Heuer CA. Obesity stigma: important considerations for public health. Am J Public Health. Jun; 100(6):1019-28. (2010)

9-http://biastoolkit.uconnruddcenter.org/

10-http://biastoolkit.uconnruddcenter.org/toolkit/Module-1/

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